lundi 25 avril 2016

La violence verbale des professionnels de santé contre les femmes sans enfant (et qui veulent le rester) - par Laura

Laura n'a pas d'enfant et elle n'en veut pas. C'est son choix, et elle y tient. 
Elle m'a envoyé un long texte énumérant les réflexions désagréables, méchantes ou simplement stupides qu'elle a déjà entendues à ce sujet. Il y en a beaucoup. Certaines ont été proférées par des professionnel.le.s de santé. Elles en disent long sur la personnalité de ceux qui les ont dites - et sur le respect qu'ils manifestent pour les choix de vie qui ne sont pas les leurs. 
Je les publie ici. Accrochez-vous. MW

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“Si vous ne voulez plus avoir mal durant vos règles, faites des enfants !”

“Si vous avez mal durant vos règles, c’est parce que votre corps réclame une grossesse.”

“Vous auriez eu des enfants, vos syndromes prémenstruels ne seraient pas si forts.”

“A force de prendre la pilule en continu, vous allez devenir stérile.”

“Votre problème de poids est lié à votre non-désir d’enfant. Faites un enfant, vous perdrez du poids”

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A la pharmacie située en bas de mon immeuble, j’avais 25 ans : 
  
“Je ne peux pas vous vendre une seule plaquette de pilule, c’est un lot de 3, ça ne s’est jamais vendu à l’unité.”

(Je suis alors allée dans une autre pharmacie, située un plus loin, qui la vendait à l’unité.)

“Le stérilet que le Dr Sachs vous a prescrit n’existe pas. Et puis un stérilet à votre âge… “

(Je suis retournée à l’autre pharmacie, un peu plus loin. Le UT380 existait bel et bien. Je suis ensuite toujours retournée à l’autre pharmacie.)
  
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Chez une gynécologue renommée en banlieue parisienne. Cabinet situé dans mon nouveau quartier. Lorsque je lui dit que je ne veux pas d’enfant. (J’avais 34 ans.)

- Les femmes comme vous, ça devrait se faire soigner ! (en colère)

(Je lui réponds que je ne viens pas chez un médecin pour être jugée ou je sors de la consultation immédiatement - elle se calme un peu.)

- Vous ne voulez plus prendre la pilule, vous ne voulez pas d’enfant et moi je refuse de poser des stérilets sur les nullipares. Je vous prescris un anneau contraceptif.
Je ne veux pas d’un anneau contraceptif, je trouve le concept peu pratique et trop invasif. A ce moment la, est-ce que vous pouvez juste renouveler ma prescription de pilule ?

- Moi, je vous prescris ce qui est bien pour vous. C’est pas vous qui décidez ! (hausse le ton)

- Au contraire, jusqu’à preuve du contraire c’est bien moi qui décide pour moi.

(Elle s’énerve à nouveau, m’insulte. Je reste calme. Je prends mon sac et sors de son cabinet, sans payer. (1) Une fois arrivée au niveau de la rue, j’essuie quelques larmes. Quelques jours après j’ai reçu un courrier de sa part me demandant le règlement de la consultation. Jamais envoyé.) 

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“Si vous ne voulez-pas d’enfant c’est que vous avez un problème avec votre mère. Il faut en parler à un psy… je vais donner l’adresse d’un confrère.”

“Si vous ne voulez-pas d’enfant c’est parce que votre mère ne vous a pas autorisée à être adulte et donc, à devenir mère à votre tour. Vous n’êtes pas adulte, vous savez, vous êtes restée au stade  adolescent.”

“Ah, vous ne voulez vraiment pas d’enfant alors. Comment c’est possible ça ?”

“Et votre mari, il n’en veut pas non plus ? Comment c’est possible ça ?”

“Et le mari, il en dit quoi lui de ne pas être père ? Il est d’accord avec ça ? Et le jour où lui en veut vous faites comment ? Vous divorcez ?”

“C’est le mari qui n’en veut pas c’est ça ? Vous savez, à notre époque on n’obéit plus à son mari. Une pilule ça s’oublie.”

“Vous venez de vous séparer. C’est dommage, vous auriez fondé une famille, il ne vous aurait pas quittée. Ah c’est vous qui l’avez quitté. Un enfant consolide un couple, vous savez.”

“La pilule n’est pas responsable de votre chute de libido. Le responsable c’est votre mari. Amusez-vous un peu, prenez un amant ! Faites pas cette tête la, vous n’avez pas d’enfant, ne me faites pas croire que vous n’allez pas voir ailleurs de temps en temps !”

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(Don du Sang, durant l’entretien avec un médecin.)

“Pas d’enfants ? Vous avez bien raison de ne pas vous emmerder avec ça.”

“Pas d’enfant ? Je note, pas d’enfant. Célibataire ? Mariée ? En couple ? En couple depuis combien de temps ? Dix ans, et vous êtes fidèle. Sérieusement, même pas une fois ? Allez me la faites pas, jolie comme vous êtes !" 

(Regards insistants. Je lui réponds que son attitude est très limite et pas professionnelle.)
  
"Bon je note quand même que vous êtes à risque, si c’est pas vous, c’est lui…” (clin d’oeil)

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(Pendant un examen gynécologique)

“Que c’est beau un petit utérus. J’aime bien avoir des patientes nullipares pour ça.”

(Durant la pose d’un DIU.)

“Mais non ça ne fait mal ! Heureusement que vous n’avez pas eu d’enfant, vous n’auriez pas supporté la douleur de l’accouchement ! (il rit)”

(Pendant un examen gynécologique)

“Vous voulez-un spéculum en plastique ? Mais c’est pour les vierges ! Vous n’avez pas d’enfant, mais vous n’êtes pas vierge bon sang ! C’est pas possible ça ces doudouilles !”

“Et surtout avec le DIU, surtout surtout pas d’anti-inflammatoire !”

“Vous savez, d’un point de purement biologique, vous n’êtes pas une vraie femme.”

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“Des enfants ? Non ?  Il serait temps de s’y mettre à 25 ans !”
“Des enfants ? Non ?  Il serait temps de s’y mettre à 30 ans !”
“Des enfants ? Non ?  Il serait temps de s’y mettre à 35 ans !”

“Si vous voulez des enfants, il ne faut pas trop attendre, vous avez déjà 3x ans”

“Et après votre IVG vous n’avez jamais eu de désir d’enfant ? Ca s’est si mal passé que ça ?”

“C’est pas normal de ne pas vouloir d’enfant vous savez. Je peux vous donner l’adresse d’un confrère qui peut vous aider.”
  
“C’est quoi cette manie des nullipares à vouloir un stérilet ? Il faut arrêter l’internet. Pas d’enfant, pas de stérilet. C’est comme ça.”

“Bon. Vous être pleine de kystes ovariens. La bonne nouvelle, comme vous ne voulez pas d’enfant, vous allez contente, c’est que vous êtes certainement stérile.” (Le type était content de sa blague)

“Vous avez perdu 20 kilos, c’est très bien, votre IMC est presque dans la norme. Il est temps d’enchaîner sur une grossesse, vous avez 35 ans quand même…”

“La stérilisation, vous savez, c’est irréversible. Et si vous changiez d’avis ? Et si vous rencontriez quelqu’un d’autre ?” 

“Ne pas vouloir d’enfant et gérer sa contraception en conséquence, c’est une chose. La stérilisation, c’est trop extrême, trop définitif. Ca ne laisse pas de place aux surprises de la vie.”

“Vous vous rendez compte à quel point ne pas vouloir d’enfant est égoïste alors qu’il y a des femmes qui sont stériles ?”

“Et toujours pas de regret ?”

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(1) Quand un.e professionnel.le de santé vous insulte, vous traite mal verbalement ou vous maltraite physiquement, faites comme Laura : sortez sans payer. Un.e praticien.ne qui se comporte ainsi ne peut pas vous soigner de manière compétente et viole le code de déontologie. Son comportement le/la disqualifie et vous n'avez pas à payer, puisque le boulot n'est pas fait. (Non, il ou elle ne cherchera pas à vous retenir de force : ce serait une voie de faits, et vous pourriez porter plainte au tribunal de police. Et non, il ou elle ne peut pas non plus vous envoyer un huissier.) MW 


mercredi 20 avril 2016

La souffrance des soignants - par Franck Wilmart, médecin généraliste

J’ai envie de crier ce soir devant cette épidémie qui frappe tragiquement de plus en plus de soignants dans une relative indifférence des autorités françaises; une épidémie silencieuse qui voit nombre d’entre nous disparaitre brutalement (Un jeune confrère il y a quelques jours, un confrère plus âgé hier et il y a moins d’un mois deux autres soignants ) ou tenter de le faire (un copain de promo il y a quelques mois) !

Et toujours cette même phrase : « vous comprenez, ils avaient des problèmes personnels » ! Circulez, il n’y a rien à voir. On tourne la page. C’est toujours un cas différent donc on ne peut pas comparer disent-ils ! 

Et pendant ce temps-là, le taux de suicide chez les soignants explose (Je ne suis même pas sûr que les tentatives de suicide soient toutes comptabilisées !)

Et que dire de tous ces soignants en souffrance que l’on reçoit chaque jour dans nos cabinets ? Ils craquent, sont en pleurs, épuisés, démotivés. Surtout ne pas faire le lien avec leurs conditions de travail, des techniques de management du personnel sans nom (« Comment ? Vous ne vous imaginez pas dans quel pétrin vous me mettez  pour le planning ! Vous ne pouviez pas m’avertir avant, qu'on allait vous hospitalier en urgence ? »). 

Surtout, ne pas faire le lien avec les conséquences sur la vie de famille justement, sur ces couples qui se déchirent et se séparent pour aboutir parfois (souvent?) aux drames dont je parlais plus haut.

On parle souvent de la maltraitance envers les patients : quand prendra-t-on enfin à bras  le corps celle des soignants ? Quand les politiques , les décideurs de tout poil comprendront-ils que pour bien soigner un soignant a besoin d’être au mieux ?

Dégrader les conditions de travail comme c’est le cas actuellement en ville comme à l’hôpital, c’est maltraiter les personnels soignants avec les conséquences désastreuses que l’on constate désormais chaque semaine, c’est aussi risquer de voir se majorer la maltraitance des patients !

A terme c’est le soin qui est menacé : beaucoup de jeunes ne veulent plus s’installer et recherchent des postes moins exposés ! Comment ne pas leur dire qu’ils ont raison de se protéger, de protéger les leurs de toute cette violence que notre société leur inflige !

Finalement, peut-être qu’après 15 ans de médecine de campagne, je ne commence qu’à apprendre à l’école des soignants … Ou alors  j’ai tout simplement mal de voir cette école de vie perdre trop de ses élèves ! Et avec  le règlement intérieur que notre société applique à l'école des soignants, il ne faudra pas s’étonner qu’elle ferme faute de candidat pour apprendre à soigner !

Franck Wilmart